dimanche 29 décembre 2013

DADA





"Rien pour demain, rien pour hier, tout pour aujourd'hui" (Francis Picabia)






«Mesdames et messieurs, le Cabaret Voltaire n'est pas une boîte à attractions comme il y en a tant. Nous ne sommes pas rassemblés ici pour voir des numéros de frou-frou et des exhibitions de jambes, ni pour entendre des rengaines. Le Cabaret Voltaire est un lieu de culture.» (annonce lors de la soirée inaugurale du 5 février 1916 pour faire taire l'énorme chahut)






"Vous aussi, bel homme, jolie femme, vous êtes dada, seulement vous ne le savez pas. Demain dada aura un visage différent d'aujourd'hui et pour cette raison sera dada. Dada, c'est la vie." (Jean Arp)




Dada et Dadaïsme

mardi 17 décembre 2013

Christian Dotremont



ALECHINSKY Pierre, Portrait Christian Dotremont, Phototypie, Arches France


Depuis longtemps, depuis qu’il y a les arbres,
et même avant,

Depuis qu’il y a le silence,

J’avais envie de dire quelque chose, de le rompre
comme du pain, le silence,

D’être porte-parole porté par la parole,

De chanter sans connaître la chanson,
de crier sur les toits sans prêter attention à l’écho,

De rire dans les coquillages, de pleurer
dans le gilet des maisons,

Mais il m’est arrivé d’écrire-

Depuis longtemps aussi j’avais envie de voir,
et j’allumais les lampes,

Envie de prendre en flagrant délit
les chambres tapissées de portes,

Le moindre bouton sur le visage du miroir,

Au supplice du soleil les gens qui marchent
comme les acteurs,

Et le paysage qui s’est couché, qui dort,
qui s’étire si loin,

Je regardais comme un détective et découvrais
les crimes, les taches, les empreintes, la victime
incestueusement mêlée au coupable,

Tout avait gueule d’aveu, je marchais
parmi l’évidence en serrant contre moi le secret,

Ne le perdais jamais,

Parmi un grand magasin de choses
exposées à l’habitude,

Et chapardais de quoi vivre, de quoi le nourrir,
le secret,

Mais il m’est arrivé de fermer les yeux-

De regarder la clef par la serrure,

De voir les fleurs de gel qui poussent sur les volets,
les flammes qui décorent les tapis,

D’ouvrir les volets, de soulever le toit lourd de notions,

De suivre, tout en les dessinant, les traînées des fêtes
qui n’ont pas lieu,

Les débauches légères, fragiles, où tout joue à jurer,

De perdre le fil, d’avancer alors dans les mirages
qui arrêtent le désert,

Parmi les souks où serpentent les aguichantes
marchandes d’incroyable,

De faire œillade à ce qui n’a ni lieu ni temps,

D’aller ainsi à vau l’eau sous mes propres paupières,

Mais il m’est arrivé de te regarder-

Depuis longtemps, j’en avais envie,

De garder ce qui est autour avec ce qui est dedans,

De trouver dans le fruit qui est là le goût du fruit
que je cherche ici,

D’avancer dans l’ombre même la dague sans garde
du regard,

De caresser les angles du soleil,

De faire ce que j’imagine, d’imaginer ce que je fais,
mon amie,

De brûler à la flammèche de la bougie le grand livre
où sont comptées les grandes choses, et les petites,

Toi, tu les laissais faire, elles s’embrassaient avec nous,

Les chambres donnaient sur les souks, tes yeux
donnaient sur les miens,

Les maisons enlevaient leurs toits pour saluer les gens
qui marchent,

Les animaux se répandaient parmi les herbes,
à pas de louve saoule,

Les elfes lutinaient les gnomes, les arbres dormaient
debout dans la mousse,

Dans la cour de récréation le moindre mot
faisait boule de neige,

Il n’y avait plus de buvard sur les pupitres,
plus de pupitres,

Il y avait dans le ciel le brouillon des nuages,
le ciel,

L’orage caressait les chardons, les rivières
trouvaient de l’or,

Le temps se reposait sous l’oreiller, le secret
se regardait dans le miroir,

Mais il m’est arrivé de ne plus te voir-

Et de garder les yeux ouverts
sur les grandes choses fermées, et les petites,

Et de crier sur les toits pour que l’écho
rompe le silence,

Et d’avoir envie-



(Extrait de Traces, éditions «Jacques Antoine passé-présent», 1980)

dimanche 1 décembre 2013

Stanislas Rodanski



La nuit verticale
(extrait de l'ouvrage Des proies aux chimères)


"Que je sois – la balle d’or lancée dans le Soleil levant.
Que je sois – le pendule qui revient au point mort chercher la verticale nocturne du verbe.
Que je sois – l’un et l’autre plateau de la balance, le fléau. La période comprise entre les deux extrêmes de la saccade universelle qui est le battement de coeur suivant celui dont on peut douter au possible et tout attendre de son anxieux « rien ne va plus ».
Je lance au possible ce défi : Que je sois la balle au bond d’un instant de liberté.
Je lance ce cri – que je sois la balle de son silence.
Mon départ s’appelle toujours, tous les jours et tous les instants du grand jour. Mon retour à jamais, éternelle verticale nocturne, point mort, égal à lui-même, que l’autre franchit – toujours.
Qui suis-je?
Toujours le même revenant, ce qui revient à dire encore un autre."




Association Stanislas Rodanski

samedi 30 novembre 2013

Globe Unity Orchestra / Berlin (1970)


© Gérard Rouy

C'est en 1966 qu'apparut l'ensemble Globe Unity Orchestra, big band free jazz, réunissant les plus talentueux musiciens d'improvisation libre de la scène européenne : Peter Brötzmann, Willem Breuker, Steve Lacy, Evan Parker ou encore Albert Mangelsdorff pour ne citer qu'eux.
Illustrée par deux vidéos extraites d'un concert à Berlin en 1970, la fougue créative de l'ensemble impressionne. D'une liberté d'interprétation déconcertante, on s'enivre de leur verve hypnotique et débordante.
Les instruments se répondent, s'entrechoquent et s'envolent avec force et puissance. Bruitiste, ce témoignage d'un temps où l'expression se donnait les moyens de sa liberté laisse pensif. Vivant!









Wikipedia

lundi 18 novembre 2013

Le Tricycle



"C'est un pays merveilleux. Merveilleux comme ces contrées que l'on découvre, les yeux étourdis, dans les contes d'enfant. C'est un pays où, - soudain, souvent, toujours, - on finit par se perdre. On ne sait plus très bien quel chemin on a pris. On s'effraye presque de devoir choisir maintenant entre celui qui part vers les bois, ou celui qui descend, à travers champs, jusqu'au ruisseau. C'est un pays où rien n'est certain. Où les choses semblent différentes à chaque seconde.

C'est un univers comme celui-ci où nous conduisent sans prévenir mais avec une extrême attention, avec un talent qui éblouit, les protagonistes du Tricycle, Jean-René Mourot, Arthur Vonfelt, Adam Lanfrey et leurs amis.


Ce pays est assurément un monde étrange. Non pas qu'on y parle une autre langue que la nôtre et que les moeurs de ses habitants nous soient inconnus. Au contraire : dans ce monde inhabituel on se sent chez nous, on se sent bien, on se sent libre – libre d'inventer, de rêver, d'être nous-même. Ce ne sont pas les points de repères qui font défaut – jazz, musique improvisée, funk – mais il n'empêche que dans ce monde-là on est sans cesse en train de vagabonder dans quelques sentiers buissonniers. A tout instant on s'y trouve mieux que partout ailleurs. Parce que, sans doute, on se surprend soi-même à inventer ses propres songes, sa propre cité, presque son paradis.

Les jeunes musiciens qui ont inventé la musique que nous avons la chance insigne de pouvoir écouter ici – c'est-à-dire de partager avec eux ; car , lorsqu'on « écoute » nous ne restons pas inactifs : nous aussi, (sans le savoir le plus souvent), nous jouons, nous « participons » de la musique, nous participons à cette musique – ces jeunes musiciens qui nous font ce don, sont assurément comme des insatisfaits permanents.



Ils ont bien raison d'être ainsi ! C'est ainsi que nous les aimons. Ici, les obstacles rendent plus agréables les voyages, plus harmonieux et plus heureux les femmes et les hommes qui s'aventurent dans ces territoires inexplorés et si familiers à la fois. C'est ici comme une expérience fondamentale qu'il nous est donné de faire grâce à la magie du Tricycle. Celle de l'invention toujours renouvelée. Car, si la musique est attendue, si l'on croit d'avance qu'elle va nous enchanter ou nous éblouir alors elle sera tout juste capable de nous conter une rengaine : elle ne fera pas notre joie.

C'est à sa manière ce qu'a écrit un jour le romancier James Sallis dans l'un de ses plus beaux livres:
« Adrian me parla une fois des musiciens africains avec lesquels il avait joué ; nous dit-il.
Lorsque les choses devenaient trop prévisibles, trop définies, trop répétitives, ils exhortaient leurs compagnons « à y introduire de la confusion ».(1)

Le pays que le Tricycle – puisque c'est le nom que ces trois jeunes musiciens se sont choisi pour dire leur unité, cette unité qui ne semble fondée que sur leur pouvoir d'imagination, sur leur capacité la plus individuelle à inventer et à créer – ce pays-là a un nom. Ce nom est le plus beau que l'on puisse rêver : il n'en a qu'un, celui de la musique! Lorsque celle-ci désigne non seulement un art, mais peut-être davantage encore, tout acte de création et d'invention. Et pourtant c'est un pays dans lequel - pour reprendre le mot de James Sallis - la « confusion » règne à tous les détours des routes, de toutes les routes, même de celles qui semblent les plus aisées à emprunter . Les titres de chaque « plage », les titres eux- mêmes manifestent cette « confusion », ces voies qui nous détournent des droits chemins...


Cela commence par une « Interduction », puis survient une « Kyrielle », une « Cour des miracles » et un « Prélude » qui au lieu de servir d'ouverture à cette musique et à ce monde ne vient ici qu'en quatrième position. Dans le pays du Tricycle tout est à l'avenant, rien n'est prévu, rien n'est prévisible... C'est comme cela que ce pays est un monde où la liberté d'être, où le simple fait d'exister, et donc de fredonner, de chanter, de jouer, implique l'incertitude, la recherche constante, l'invention toujours renouvelée. Dans cette région où les chemins, se perdent et nous perdent un peu, le Tricycle nous emmène avec un bonheur constant. Ces pièces qui ont pour noms « Angry Men's Blues » ou « Esquisse » pour ne citer qu'elles, ces pièces qui nous font rêver, sont une sorte de témoignage que la musique est cette « unique joie », qui impose que nous commencions et recommencions sans cesse notre propre voyage.

Car « l’unique joie au monde c’est de commencer [...] toujours, à chaque instant" (2). Comme une musique incessante au pays des chemins perdus."

Michel Arcens, novembre 2013


(1) James Sallis « Bois Mort », éditions Gallimard, collection Folio
(2) Cesare Pavese « Le métier de vivre » éditions Gallimard, collection Quarto

Michel Arcens, rédacteur pour Citizen Jazz, premier site internet spécialisé en France, est l'auteur de deux ouvrages sur le jazz : « Instants de jazz » avec un prologue d'Alain Gerber et des photographies de Jean-Jacques Pussiau et « John Coltrane, la musique sans raison », tous deux aux éditions Alter Ego.

Source texte et iconographie : Momentanea label de jazz, musiques à improviser et contemporaines

L'album de Tricycle est en pré-vente ici.
Hautement recommandé!


vendredi 15 novembre 2013

TERRITOIRE — Blanc



Un petit bijou réalisé par Pedro Martín-Calero.
"Blanc" extrait de l'album Mandorle de Territoire (Envelope Collective).
Enigmatique, profond, déroutant...






dimanche 20 octobre 2013

[A...] Soundz Projekt LP limited edition



photo : Annemarie Kindler


[A...] Soundz Projekt (Laurent Rauner & Jérôme Scheben) nous offre, en cet automne 2013, un très beau LP lathe cut transparent tiré à 50 exemplaires contenant également le CD et 2 cartes postales originales.

C'est en mars 2013 que nous avions découvert ce duo (cf. article Vers du Silence ici) et que nous avions pénétré cet univers mystérieux.
Depuis, Laurent Rauner, animateur et producteur de ce projet, a mis en ligne sa page Soundcloud avec les morceaux du disques ainsi que d'autres inédits.



Ce très bel objet, au tirage limité, est donc vendu pour 30 euros (port compris) à envoyer à :

Laurent Rauner
Binzstr. 50
13189 Berlin
Germany


contact : laurentrauner@yahoo.fr

mercredi 16 octobre 2013

René Crevel



"La Ville.

Elle porte collier de visages en papier mâché, mais son chignon joue à l’arc de triomphe.

Ainsi, avant l’ère des nuques rases, toute patronne de bistrot, à coups de guiches, frisettes, franges, boucles, nattes, compliquait, en de chimériques architectures, l’édifice de cheveux et d’orgueil, à même le sol du crâne. Or la dernière auvergnate, penchée sur le zinc d’un comptoir, où se mire sa tignasse bouffie de crêpes, cimentée à la brillantine, étayée de peignes et barrettes, façon écaille, nymphe de gargote, narcisse femelle, mais défiant tout vertigo – elle vous en donne sa parole – car la tête est bonne, certes, meilleure que celle du freluquet sempiternellement penché sur un ruisseau, et, à poils, le chinois de paravent, la graine de propre à rien, à poils, dehors, dès potron-minet, à se regarder, va donc chochotte, les yeux, le nombril et toute la boutique, tant et si bien qu’il a fini par choir dans la flotte, d’où on l’a repêché mort et nu, plus nu que la main, puisque… mais ne me faites pas dire des cochonstés, ma bonne ma chère, fouchtri, fouchtra…

...l’ultime maritorne anachroniquement fière du château poisseux et tarabiscoté qui la couronne, déesse de la mayonnaise qui ne cache rien de ce qu’elle sait des cosmogonies, de la politique, des adultères de quartiers, tandis que, goutte à goutte, dans un bol, tombe l’huile de sa sauce, n’est pas la seule de qui s’inspire la Ville.

Mais la grande pétrifiée, au reste, toujours prête, sans qu’on lui demande son avis, à se prétendre capitale du goût, s’est rappelé que les moukères arrangent leurs sequins en parures.

Aussi, cette fille de la fille aînée de l’Église, sur une poitrine asymétrique dont elle a baptisé un sein, et encore le droit, Sacré Coeur ( à noter, entre parenthèses, que les enfants de cinq ans trouvent des syllabes à la fois autrement exactes et mystérieuses pour l’état civil de leurs doigts de pieds), l’autre Panthéon(Pan parce que la donzelle, férue d’antiquité, ne déteste pas, non plus, un petit air de flûte et se réjouit fort de ce qui claque : gifles, tir à la carabine, jeux de mots et de mitrailleuses, coups de fusil et de canon ; théon explicable par la seule faute du scribe, qui, avec le même nombre de signes, moins de prétentions et plus de vraisemblance, eût tout bonnement inscrit téton à son registre), sur un bas-ventre qui a juste ce qu’il faut d’obélisque pour jouer les hermaphrodites et s’appelle lui aussi d’un nom composé (d’abord trois lettres, chacune au sommet du triangle où se tapit ce qui de la femme est le plus apprécié mais le plus calomnié, puis le substantif corde, comme si cette coquette entendait qu’on se pendît au sien), sur son coeur en forme de Palais-Royal, son nombril qui lui sert de fosse aux ours, ses bras, ses jambes, parfumées au goudron, elle a imprimé le tatouage négatif et glacial de la monnaie-du-pape.

Monnaie du pape, monnaie de singe, petites lunes en papier, soeurs par la sécheresse d’une grisaille qu’elles maquillent, si la boîte à sardines oubliée au pôle, par l’explorateur, peu curieux du paysage, a réjoui la boitante famille des pingouins, l’homme qu’une impitoyable main de fer, sans gant de velours, vient d’arracher au naufrage illimité du sommeil et des draps, meurtri dans son regard et le secret de sa poitrine, blessé au sang par l’acier, dont, après avoir déchiré sa vitre, vient de le frapper la ville casquée, cuirassée de gelée blanche, l’homme n’est plus qu’un moribond relief de nuit.

Ses yeux ? des étoiles qui s’éteignent, deux feux follets rentrés à l’écurie. Avec des transparences



de souvenirs, d’acides raclures de ciel et déchets d’astres, il essaie, quand même de se recomposer un visage : son visage continué par un cou ; son cou… et ainsi de suite, mais les morceaux de lui-même se joignent mal, ne semblent plus faits les uns pour les autres.

De sa chair, de ses volontés, ne demeurent que lambeaux de brouillard, tronçons de torticolis. La femme de pierre, la pierreuse condescend à le plaindre.

" À l’aube j’ai rêvé de toi et j’ai pleuré… "

Elle a rêvé, elle a pleuré.

La pitié ? quoi ? Un regard lancé trop loin, la mise en scène de la voix, et, surtout, ces mots d’une sournoiserie… La pitié plus hypocrite, plus révoltante que la Société des Nations, la police, les choux-fleurs, les bretelles, les maladies vénériennes, le papier de verre et les fixe-chaussettes.

L’homme baisse les paupières, pour se rappeler certains mois dont les matins lui souriaient, de toutes leurs fenêtres ouvertes, chantaient à douce voix de fleuve, accompagnés en sourdine par les caresses d’ombre. Mais l’automne, soudain, a voulu que se gerçât du sel des larmes ce qui de la peau ne peut mentir.

L’homme fuit la chambre du piteux réveil, et, dans la rue, il constate l’alliance de la ville et du jour (15 octobre), le plus équivoque parmi les trente et un d’une famille entre le ziste et le zeste. En a déjà pâli même la belle insolence des marchandes de mimosas. Afin de mieux narguer les gerbes chétives que ces bohémiennes essaient de vendre, à l’orée des métros, se tord le zinc agressif d’une végétation nymphomaniaque, et les gitanes n’osent plus remuer un cil, alors qu’elles ont toujours passé, fort justement, du reste, pour connaître dans ses moindres subtilités l’art de faire de l’oeil et aussi bien avec les narines que la bouche ou les anneaux qui leur servent de pendants d’oreilles. Dans leurs paniers, toute une végétation s’anémie, se liquéfie, mare à la noyade des fleurs, et les tabliers n’ont pas trop de mille plis pour cacher deux fois cinq doigts parfumés au cuivre des gros sous. C’est la saison des mains dans les poches des pardessus. Nul passant ne sauvera de la débâcle le plus petit bouquet, et les altières nomades, la veille encore claquant les talons de leurs socques et de l’insolence sur le macadam, rougissent d’une crasse pourtant bien docile à ganter leur fin métal de peau. Hier, elles allaient jeteuses de mauvais sorts, les lèvres passées au minium, pour bien signifier aux grands frisés des faubourgs, toujours prêts à jouer du couteau, qu’elles n’avaient pas peur du rouge, mais aujourd’hui, parce que du ballon feuillu des marronniers ne demeurent que squelettes inutilement compliqués, parce que c’est la naissance de la mort, créatures aux épaules soudain peureuses, elles supplient le froid, cet avorton, de ne pas les poignarder entre les omoplates.

À la lumière de cette détresse l’homme voit qu’il n’a jamais rien compris des choses, ni des êtres.

Il se précipite chez la diseuse de bonne aventure (comme s’il n’en existait pas de mauvaise).

Quatre à quatre il grimpe les cinq étages.

Il compte.

4 + 4 + 5 = 13

4 + 4 X 5 = 40

4 + 4

Mais halte là ! s’il fallait soustraire et diviser, non additionner, ni multiplier ? Gare aux chiffres. Traîtres comme les revolvers. On a enlevé le chargeur. On vise pour rire. Il était resté une balle dans le canon. Balle diabolique, cabalistique, métaphysique. Bien des adjectifs s’offrent à qualifier ce projectile meurtrier. Une gentille petite femme n’en a pas moins tué son gentil petit mari. Ou vice-versa. Vous parlez d’un malheur ! Un ménage modèle et qui mettait de côté. Dire que la pauvre aura ses vingt et un ans juste le jour de Noël. Déjà veuve. Si jeunette. Et enceinte. Foi de bistrote, voilà une histoire qui mérite bien qu’on la répète, toute une année, à l’heure de la sauce mayonnaise. La Ville, elle, aura de quoi pleurer, de quoi rêver, tout son saoul. Bonne occasion de se métamorphoser, de flotter, île sur l’océan des larmes. Fluctuat nec mergitur. Ce serait mieux encore si on retrouvait, tué à coups de chiffres, l’homme sur le paillasson de cette voyante qui n’a pas l’air d’entendre. Mais l’auvergnate au chignon, et la pierreuse tatouée à la monnaie-du-pape, il ne faut tout de même plus jamais leur permettre de se mêler de ce qui ne les regarde pas. Donc ne toucher ni aux pistolets ni aux nombres qui partent tout seuls. Déjà les courants d’air ne lui ont pas si bien réussi à ce garçon ! Il aimait le vent à la folie. Prétexte à de jolis symboles. Mais un citadin n’a guère de tempêtes à sa disposition. Pour traduire, à coups moyens terrestres, l’ouragan, il a laissé portes et fenêtres battantes. D’où un méli-mélo pulmonaire. La carcasse ne fut jamais bien fameuse. Maintenant il a la fièvre, il tousse… Il exècre cette rauque chanson, qui, d’ailleurs, a dû finir par réveiller la Pythonisse, puisque se traînent des savates de l’autre côté de la porte qu’on ne tarde plus à ouvrir.

L’homme prévient qu’il déteste le passé, et le présent. Il n’est venu que pour le futur. Il fait le vide en soi. De ce qu’il fut, de ce qu’il est, survit, seule, une frénétique fringale d’imaginer. Il ferme les yeux afin que nulle vision trop actuelle ne s’interpose entre l’avenir et ses paumes.

Le livre des mains et de la destinée, elle sait y lire, la chiromancienne, elle va y lire et elle connaît son monde à force d’en avoir vu, et de toutes les couleurs, des vertes et des pas mûres, depuis le temps déjà lointain que, dans les foires, sous le nom de Mme Rachel, au seuil d’une roulotte, charlatane, elle déployait son bel éventail de tarots. Fille de dompteurs, elle n’a jamais eu froid aux yeux et sait comment s’y prendre avec les fauves et les amoureux. Elle a du reste toujours méprisé les uns et les autres, et, maintenant qu’elle a renoncé aux rideaux d’andrinople, à l’édredon, gonflé jusqu’au plafond, de la vie foraine, pour devenir Mme de Rosalba, sorcière en chambre, oracle des Batignolles, elle voue un mépris rétrospectif aux lions, ces rapins démodés à cravates Lavallière, qui n’ont même pas eu le nez de commander un petit trumeau à Lautrec, du temps qu’il brossait, à Neuneu, de grands panneaux pour la Goulue.

Donc premier conseil :

- Si vous achetez des peintures, mon jeune Monsieur, puisque je vois à cet anneau de Venus, là, que vous êtes un artistique, ne vous fiez pas aux manitous qui font les fendants. J’en ai connu un, moi qui vous parle, des qui maniaient le pinceau et le crayon. À preuve que ma nièce avait épousé un architèque. Il est mort dans un éboulis. Dommage. Il vous aurait bâti, pour pas cher, la grande maison que vous aurez d’ici quelques années. Et il y en aura de la peinturlure dans le salon, et du bois doré ! On se croirait au Palais de Fontainebleau. Mais c’est pour plus tard, maintenant, maintenant…

De toutes ses forces, elle tire, écarte les doigts, pour que la paume devienne océan, car la soif devineresse de la ci-devant Rachel dédaigne les verres d’eau, et même celui au fond duquel Cagliostro aperçut la tête coupée de Marie-Antoinette.

Mme de Rosalba plonge.

À mille lieues, sous les mers du futur, elle voit :

- D’abord un mariage avec une rousse. Vous aurez été présenté à la fiancée, à l’étranger, au cours d’un voyage. Mais c’est à Paris que se fera la noce. Et vous parlez d’une noce, avec des autos, des toilettes et une messe où l’on jouera tout le temps de l’orgue. L’épousée porte une robe à traîne de satin blanc copurchic. Son voile en point d’Angleterre n’est pas de la gnognote. Bien du monde s’est dérangé. Et pas des purées. Le Président de la République, en personne. Si sa femme n’est pas venue, ne cherchez pas midi à quatorze heures, c’est simplement parce qu’il est célibataire. Le pape a envoyé sa bénédiction et on passe tout l’après-midi à boire du champagne." (extrait de : "Êtes-vous fous ?")

mardi 15 octobre 2013

Phaune radio



Une expérience inédite d’écoute sauvage et sans bord

"Après les 7 folles Nuits de la Phaune, l'expérience radiophonique se transforme en flux permanent, tout aussi sauvage, sur le web et sur vos mobiles…
Phaune Radio vous invite à une exploration de l’animalité et de ses univers sonores, un voyage au plus près des biotopes sauvages et imaginaires.
Phaune Radio ouvre sa grille et libère des sons effervescents : fenêtres ouvertes sur des paysages sonores du monde entier, musiques aventureuses, hirsutes ou horizontales, rencontres animales, documentaires et créations, là où arts et sciences se rejoignent.
Un cabinet de curiosités sonores, en mouvement perpétuel, pour découvrir la vitalité de la création radiophonique internationale, s'immerger dans un bain de sons naturels et surnaturels, en se
laissant guider par des voix complices.
Place à la créativité effrontée de la nature, intensifée par la
griffe phaunesque qui transforme la radio en un kaléidoscope halluciné et invisible...
Phaune Radio se déplie aussi sur les ondes des radios curieuses, s’étire lors d’installations sonores dedans ou dehors, et se blottit dans des festivals pour des temps d’écoute
partagée. Rejoignez-nous !" (source : Phaune radio)

lundi 14 octobre 2013

Guillaume Piot



C'est à Aix-en-Provence que, durant une promenade estivale, j'ai découvert le travail de Guillaume Piot.
Rentrant avec curiosité dans une galerie de peinture, Carré d'Artistes, mon regard fut attiré par un type de réalisation particulière, mettant à vif un matériau minéral et brut et, en même temps, chaud et soyeux : la peinture à la chaux.
Plongeant immédiatement dans ce voyage aux moult sens (vue, toucher, direction, définitions...), je me promis de partager cette attirance instinctive.
Après quelques recherches, le contact fut établi avec le peintre Guillaume Piot.
Confidences et mises en perspectives.
Explications, émotions.


"Je travaille beaucoup de technique et beaucoup de médium. Je n’expose pas aux public toute mes créations et le travail à la chaux est resté longtemps “secret” en ce sens où il ne sortait pas de l’atelier.
J’ai commencé à travailler ce médium ancien afin de ralentir mon processus de travail. Je peins avec de l’huile depuis toujours quasiment, et j’ai l’habitude de faire sortir la couleur directement du tube, de la mélanger et de peindre. Je réalise mes tableaux rapidement.
Je voulais donc prendre le temps de fabriquer mes couleurs, et travailler la matière; la couleur et leur relation. Je me suis reconnu dans cette technique à la chaux, que j’ai découverte en côtoyant un artiste la pratiquant, qui me permettait de faire “autrement”, “autre chose” qu’avec la peinture à l’huile.
Voilà pour le “pourquoi”, la genèse de mes œuvres."


"Je me suis rapidement aperçu que la matière était “capricieuse”, qu’il était quasiment impossible d’être dans la reproductibilité garantie avec la chaux. Tantôt craquelée, tantôt lisse, selon la météo et selon ma façon de la travailler.
J’aime ce côté naturel et brut, qui nécessite pourtant beaucoup de travail en amont, beaucoup de réflexion sur les formes, les couleurs, la préparation. La douceur qui se dégage des tons pastels m’apporte une vision différente. Je tente souvent de jouer sur des contrastes forts mais subtils. Je racle, je ponce, je sculpte, j’ajoute, je troue, je gratte... autant de geste qui ne sont possible qu’avec une matière aussi minérale et dure que la chaux."


"Mes oeuvres sont des oeuvres “à toucher”, de par la matière, chaude et douce ainsi que par leur portée symbolique, forte et simple.
Vous touchez, et vous laissez toucher.
Il y a quelque chose de presque primaire dans ce travail, de brut, mais tellement doux, presque raffiné."

Guillaume Piot

Merci à Guillaume Piot pour sa disponibilité et sa gentillesse ainsi que pour avoir permis l'utilisation de l'iconographie de son site.

lundi 30 septembre 2013

Détroit


"L'ex-chanteur de Noir Désir dévoile lundi 30 septembre le premier extrait de son nouveau projet musical Détroit, pour lequel il collabore avec le bassiste Pascal Humbert, ex-membre de Passion Fodder et 16 Horsepower.
La chanson "Droit dans le soleil" est issue de l'album écrit par les deux hommes, intitulé Horizons, et a été co-écrite au Liban avec le metteur en scène Wajdi Mouawad a été mis à disposition des radios le même jour. L'album sortira le 18 novembre, trois ans presque jour pour jour après la séparation de Noir Désir. Une vidéo du tournage en live du morceau est également en ligne. Le label a par ailleurs annoncé qu'une tournée suivra la sortie de l'opus." (Le Monde.fr)



lundi 23 septembre 2013

Robert Malaval



"J'ai eu envie de faire des toiles qui soient aussi rapides, aussi instantanées que la musique (...). Toute la mystique qui entoure le tableau, je n'y crois plus. C'est pourquoi je me suis mis à peindre comme on fait des chansons, je joue un dessin, je le chante. Le losange dans le rectangle de la feuille de papier c'est une structure très simple comme les 12 mesures du blues. J'essaie de trouver l'équivalent en peinture."




«L'incohérence n'existe pas, le désordre n'est qu'un ordre différent»


«C'est moins définitif que le suicide de se saouler la gueule, mais ça revient au même»



Wikipedia

dimanche 22 septembre 2013

Le mouvement Phases


Edouard Jaguer

Le mouvement Phases est un mouvement artistique international, regroupant des peintres, des écrivains et poètes, créé en 1952 à l'initiative d'Edouard Jaguer, dessinateur et poète.
Il prend sa genèse dans le surréalisme et l'abstraction lyrique.
"Le mouvement Phases a débuté dans les années 50. Plusieurs courants du surréalisme s’y mêlent, on y retrouve des artistes aux styles très différents. Le dénominateur commun, c’est la pratique de l’automatisme, procédé mettant en oeuvre le hasard et laissant parler l’inconscient. Il prend différentes formes : décalcomanie, collage, grattage, frottage…" confiait Jean-Claude Charbonel en 2008 (in Le Griffon), artiste du mouvement.

Tableau : Jacques Lacomblez

Au début des années 50, deux revues artistiques et d'avant-gardes européennes Cobra et Rixes, nées de la rencontre du surréalisme et de l’abstraction lyrique, revues consacrées à l’exaltation des nouvelles formes d’expression libre, éditent leurs derniers numéros. Leur disparition inspire à Édouard Jaguer la création d'une nouvelle revue, Phases.


D'aspiration libertaire, Phases est avant tout un mouvement politique, dans le sens plein du terme. Il affiche sa défiance des systèmes établis, tant esthétiques que sociaux.
Edouard Jaguer disait : "L'art est la continuation de la révolution par d'autres moyens". Le processus était ainsi précisé clairement.

Tableau : Wifredo Lam

D'horizons culturels et géographiques différents, les membres de Phases représentent par leur singularité un panel créatif unique de richesses d'expressions.
Ce mouvement, plutôt méconnu du grand public, ouvre une fenêtre rare sur un regroupement d'artistes loin des sectarismes et proche dans sa solidarité humaniste.
"Cette invention collective qui se fait spontanément sans qu'à aucun moment l'inspiration individuelle ait à souffrir de la moindre contrainte, c'est peut-être un des seuls objectifs que nous nous soyons assigné au départ" (Edouard Jaguer, catalogue de l'exposition L'expérience continue, Le Havre, 1988).





Wikipedia

mercredi 10 juillet 2013

Miss Dalloway




Nicolas Moulin : voix, guitare
Romain Rongier : basse
Cédric Guillo : batterie


Miss Dalloway, trio électrique parisien, est né de la rencontre de Nicolas Moulin (voix et guitare) avec Romain Rongier (basse). Il prend sa forme actuelle, en 2011, avec l'arrivée de Cédric Guillo (batterie) et un répertoire déjà bien élaboré d'une dizaine de compositions.
Marqué aussi bien par la scène grunge des nineties (Nirvana, Mudhoney...) que le noise-rock ou encore le métal, Miss Dalloway sait tailler dans le brut, se rapprocher pour chuchoter et prendre du recul pour hurler. La tension est toujours palpable et parfois le ciel s'assombrit.

Miss Dalloway, un groupe rare, fonctionnant de manière artisanale, a sorti un 4 titres autoproduit fin 2012, "Fuzz Raaga". On espère un album pour bientôt.
En projet actuellement un split single avec l'excellent groupe Enob.
A bon entendeur, salut!










Miss Dalloway

vendredi 14 juin 2013

Astatine - Closed fuel cycle








Un son lo-fi, des crépitements, des textures marbrées, des notes de chambre miroitantes et un supplément de bruits calleux. Des formations étranges, incertaines, arrivant parfois de paysages luxuriants et solitaires rappelant des no man's land inattendus. Au travers de douze pièces fracturées et tranquillement instables, Stéphane Recrosio, agitateur alchimiste d'Astatine, transforme les sons en bruits parallèles, peignant des couches de guitares expérimentales colorant l'écoute captivée.
On est happé et on s'enivre.
Closed fuel cycle d'Astatine est disponible sur ORGASM records.







Astatine

mardi 4 juin 2013

GustoForte / Italian Antipop Group





GustoForte est un groupe italien de musiques expérimentales, free, débridées et satiriques. Improvisations et magma sonores s'entremêlent.
Les Dadaïstes italiens auraient pu faire cette musique et/ou l'aimer.
Mais pas question pour ce groupe (collectif ?) de se laisser étiqueter ou réduire à une scène indépendante. Il préfère le mot autonomie.






Cette histoire ancienne, qui débuta en 1984, n'a laissé que peu d'enregistrements : un album tiré à 200 exemplaires en 1985. Très peu de concerts.
Aujourd'hui, GustoForte continue son chemin via Plastica Marella, son éditeur. Ce sont de vrais objets, au sens artistique, qui sont réalisés : des cassettes audio et autres picture disc de belle facture, aux tirages limités.
Ces objets sont parfois déposés dans certains lieux pour un public non choisi (métro, places...) : action décalée, magie des situations et libertés d'ouverture.









GustoForte

lundi 3 juin 2013

DüM



Improvised Music By Improved Musicians





DüM Exist to Play !
It is a Duo Guitar / Machines / Scratch / Voice.
composed by Piersy Roos & Ruelgo.
No Edits, No Cuts, Improvised Music made by improved musicians.




DüM Exist to Play !
It is a Duo Guitar / Machines / Scratch / Voice.
composed by Piersy Roos & Ruelgo.
No Edits, No Cuts, Improvised Music made by improved musicians.









DüM


DüM Exist to Play !
It is a Duo Guitar / Machines / Scratch / Voice.
composed by Piersy Roos & Ruelgo.
No Edits, No Cuts, Improvised Music made by improved musicians.

lundi 27 mai 2013

Günter Schlienz



Photo : Johannes Schebler

Günter Schlienz est un musicien allemand. Adepte de sons synthétiques, d'univers parallèles, de musiques intemporelles, il s'offre, en toute simplicité, dans de longues plages hypnotiques et envoûtantes.
Il nous emporte sur des voix étoilées et déroule un fil d'Ariane au plus profond de nous-même.
Des tableaux se composent au creux de nos oreilles. Il suffit de se laisser guider...
Moments partagés avec cet artiste singulier.








Vers du Silence : Dans quel état d'esprit es-tu lorsque tu t'installes derrière tes claviers ? Y-a-t-il un moment, un lieu ou un espace important pour toi ?

Günter Schlienz : Le moment et le lieu sont très importants ! J'ai toujours à l'esprit - comme une forme de concept - de ne pas rester trop souvent au même endroit.
J'ai enregistré dans des chambres d'hôtel, dans des prés, à la plage, dans le jardin d'un ami, dans différents studios, différents endroits et, bien sûr, dans ma chambre.
Cette errance avec mon matériel et sa configuration a quelquechose à voir avec l'état dans lequel je me retrouve pour enregistrer. En étant dans un environnement inconnu, cela ouvre les sens et le résultat est très souvent une surprise pour moi : j'aime être étonné !
Et, évidemment, le moment où j'enregistre est également très important : j'aime jouer la nuit, dans le silence, dans la noirceur étoilée.




VdS : Ta musique met en évidence un lien fort avec la scène krautrock électronique des années 70 : te sens-tu proche de ce mouvement ?

Günter Schlienz : Bien sûr, je m'en sens proche !
Tu sais, j'ai commencé à faire cette musique ambiante/expérimentale vers la fin des années 90 sans connaître la kosmische music ou le kraut comme Cluster ou Klaus Schulze. J'étais influencé par des groupes comme Flying Saucer Attack ou Stars of the Lid.
Plus généralement, la musique allemande pour moi ressemblait à Die Toten Hosen (punk-rock allemand) d'un côté et, de l'autre, les chansons populaires. Mais certainement pas à la musique à laquelle je m'intéressais.
Durant cette période, je jouais dans un groupe, Navel. Lors d'un concert à Brest, en 2001 me semble-t-il, nous partagions l'affiche avec Tele:funken.
Nous utilisions des bandes, des générateurs de sons, des guitares comme le premier album de Cluster (même marque et même type de matériel !). Tom, un membre de Tele:funken fut surpris que nous ne connaissions pas les travaux de Roedelius et Moebius. A mon retour, j'ai immédiatement acheté "Cluster II" et "Musik von à Harmonia". Tout de même, cela me semblait étrange, nous utilisions les mêmes instruments et des méthodes de travail similaires, ce qui se retrouvait dans le traitement des sons. Comme une filiation, un environnement culturel et sonore qui, involontairement, nous revenait en héritage...



VdS : D'où te vient cette profondeur, ce sentiment abyssal que l'on peut ressentir dans ta création ?

Günter Schlienz : Je pense que c'est toujours très intéressant pour un artiste de savoir ce que les gens perçoivent en retour.
Je suis sensible au fait que quelqu'un aime ce que je fais mais je ne suis pas sûr de saisir ces notions de "profondeur" et de "sentiment abyssal". J'essaye juste de faire ma musique, celle qui touchera mon coeur et mon âme. En réalité, c'est le seul témoignage d'authenticité !



VdS : Quels sont les artistes avec qui tu as grandi, que ce soit historiquement ou spirituellement ?

Günter Schlienz : Bob Dylan, Jack Kerouac, Hans-Joachim Roedelius. Ils ont beaucoup de sens à mes yeux.
Le premier est apparu très tôt dans ma vie et il est la raison pour laquelle j'ai commencé à faire de la musique, de la guitare acoustique pour être exact.
Le deuxième est présent pour moi par les lectures et relectures de son oeuvre. C'est quelqu'un qui sait interpeller le lecteur sur l'existence : "I'm writing this book because we're all going to die" est un leitmotiv pour tout ce que je fais.
Enfin, le dernier me donne la force de croire en ma propre vision et de persévérer, même si personne ne s'en soucie.




VdS : Ta musique est réalisée sur un seul type de support, la cassette audio. Pourquoi ce choix ?

Günter Schlienz : J'aime les cassettes pour beaucoup de raisons. Elles ont un visage, les deux bobines sont les yeux, le côté inférieur de la cassette ressemble à une bouche souriante. J'aime leur taille, ni trop petite comme les cartes SD, ni trop grande comme les anciennes bandes. Tu peux facilement les stocker sans que cela ne prenne trop de place.
J'aime leur matière, les glisser dans le magnétophone. Les cassettes permettent d'enregistrer sur deux faces, entre 10 à 60 minutes chacune. Elles sont bon marché, facile à enregistrer et à réenregistrer.
J'aime les magnétophones, ce mélange de mécanique et d'électronique, facile à utiliser et à réparer.
Pour l'éditeur aussi c'est bon marché : que se soit pour enregistrer, pour l'envoi ou pour le stockage.
Et puis, la cassette est un objet réel, physique, avec son identité artistique et pas virtuel comme le sont les fichiers stockés sur un disque dur. Certains "délirent" sur l'impératif d'avoir un "son propre" mais ça ne me parle pas. La cassette est un excellent support pour enregistrer ma musique.
Bien sûr, j'aimerai aussi sortir ma musique sur vinyle. Mais malheureusement, c'est plus coûteux. Peut-être cela se fera un jour mais pour le moment, je n'ai rien de prévu.
Concernant le CD ou le CDr, ce n'est pas un format qui me convient.
Quoique je l'utilisais et, peut-être, je m'y remettrai dans l'avenir, mais il doit être dans un beau packaging pour former un bel objet.
Mais, je me rends compte que tout le monde n'a pas l'internet haut débit pour télécharger ou un magnétophone en état de marche : le fait de recevoir la musique sur CD, c'est très pratique ! Je connais quelques personnes dans ce cas en Pologne ou en Russie.
Malgré tout, c'est une chose vraiment agréable de pouvoir offrir un vrai format alternatif.




Günter Schlienz

Remerciements à Günter pour sa disponibilité, son écoute et sa gentillesse.

mardi 14 mai 2013

Arthur Cravan





Sifflet

"Le rythme de l’océan berce les transatlantiques,
Et dans l’air où les gaz dansent tels des toupies,
Tandis que siffle le rapide héroïque qui arrive au Havre,
S’avancent comme des ours, les matelots athlétiques.
New York ! New York ! Je voudrais t’habiter !
J’y vois la science qui se marie
A l’industrie,
Dans une audacieuse modernité.
Et dans les palais,
Des globes,
Eblouissants à la rétine,
Par leurs rayons ultra-violets ;
Le téléphone américain,
Et la douceur
Des ascenseurs...
Le navire provoquant de la Compagnie Anglaise
Me vit prendre place à bord terriblement excité,
Et tout heureux du confort du beau navire à turbines,
Comme de l’installation de l’électricité,
Illuminant par torrents la trépidante cabine.
La cabine incendiée de colonnes de cuivre,
Sur lesquelles, des secondes, jouirent mes mains ivres
De grelotter brusquement dans la fraîcheur du métal,
Et doucher mon appétit par ce plongeon vital,
Tandis que la verte impression de l’odeur du vernis neuf
Me criait la date claire, où, délaissant les factures,
Dans le vert fou de l’herbe, je roulais comme un œuf.
Que ma chemise m’enivrait ! et pour te sentir frémir
A la façon d’un cheval, sentiment de la nature !
Que j’eusse voulu brouter ! que j’eusse voulu courir !
Et que j’étais bien sur le pont, ballotté par la musique ;
Et que le froid est puissant comme sensation physique.
Quand on vient à respirer !
Enfin, ne pouvant hennir, et ne pouvant nager,
Je fis des connaissances parmi les passagers,
Qui regardaient basculer la ligne de flottaison ;
Et jusqu’à ce que nous vîmes ensemble les tramways du matin courir à l’horizon,
Et blanchir rapidement les façades des demeures.
Sous la pluie, et sous le soleil, et sous le cirque étoilé,
Nous voguâmes sans accident jusqu’à sept fois vingt-quatre heures !
Le commerce a favorisé ma jeune initiative :
Huit millions de dollars gagnés dans les conserves
Et la marque célèbre de la tête de Gladstone
M’ont donné dix steamers de chacun quatre mille tonnes,
Qui battent des pavillons brodés à mes initiales,
Et impriment sur les flots ma puissance commerciale.
Je possède également ma première locomotive :
Elle souffle sa vapeur, tels les chevaux qui s’ébrouent,
Et, courbant son orgueil sous les doigts professionnels,
Elle file follement, rigide sur ses huit roues.
Elle traîne un long train dans son aventureuse marche,
Dans le vert Canada, aux forêts inexploitées,
Et traverse mes ponts aux caravanes d’arches,
A l’aurore, les champs et les blés familiers ;
Ou, croyant distinguer une ville dans les nuits étoilées,
Elle siffle infiniment à travers les vallées,
En rêvant à l’oasis : la gare au ciel de verre,
Dans le buisson des rails qu’elle croise par milliers,
Où, remorquant son nuage, elle roule son tonnerre."

Revue Maintenant n°1 (avril 1912)




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