dimanche 20 octobre 2013

[A...] Soundz Projekt LP limited edition



photo : Annemarie Kindler


[A...] Soundz Projekt (Laurent Rauner & Jérôme Scheben) nous offre, en cet automne 2013, un très beau LP lathe cut transparent tiré à 50 exemplaires contenant également le CD et 2 cartes postales originales.

C'est en mars 2013 que nous avions découvert ce duo (cf. article Vers du Silence ici) et que nous avions pénétré cet univers mystérieux.
Depuis, Laurent Rauner, animateur et producteur de ce projet, a mis en ligne sa page Soundcloud avec les morceaux du disques ainsi que d'autres inédits.



Ce très bel objet, au tirage limité, est donc vendu pour 30 euros (port compris) à envoyer à :

Laurent Rauner
Binzstr. 50
13189 Berlin
Germany


contact : laurentrauner@yahoo.fr

mercredi 16 octobre 2013

René Crevel



"La Ville.

Elle porte collier de visages en papier mâché, mais son chignon joue à l’arc de triomphe.

Ainsi, avant l’ère des nuques rases, toute patronne de bistrot, à coups de guiches, frisettes, franges, boucles, nattes, compliquait, en de chimériques architectures, l’édifice de cheveux et d’orgueil, à même le sol du crâne. Or la dernière auvergnate, penchée sur le zinc d’un comptoir, où se mire sa tignasse bouffie de crêpes, cimentée à la brillantine, étayée de peignes et barrettes, façon écaille, nymphe de gargote, narcisse femelle, mais défiant tout vertigo – elle vous en donne sa parole – car la tête est bonne, certes, meilleure que celle du freluquet sempiternellement penché sur un ruisseau, et, à poils, le chinois de paravent, la graine de propre à rien, à poils, dehors, dès potron-minet, à se regarder, va donc chochotte, les yeux, le nombril et toute la boutique, tant et si bien qu’il a fini par choir dans la flotte, d’où on l’a repêché mort et nu, plus nu que la main, puisque… mais ne me faites pas dire des cochonstés, ma bonne ma chère, fouchtri, fouchtra…

...l’ultime maritorne anachroniquement fière du château poisseux et tarabiscoté qui la couronne, déesse de la mayonnaise qui ne cache rien de ce qu’elle sait des cosmogonies, de la politique, des adultères de quartiers, tandis que, goutte à goutte, dans un bol, tombe l’huile de sa sauce, n’est pas la seule de qui s’inspire la Ville.

Mais la grande pétrifiée, au reste, toujours prête, sans qu’on lui demande son avis, à se prétendre capitale du goût, s’est rappelé que les moukères arrangent leurs sequins en parures.

Aussi, cette fille de la fille aînée de l’Église, sur une poitrine asymétrique dont elle a baptisé un sein, et encore le droit, Sacré Coeur ( à noter, entre parenthèses, que les enfants de cinq ans trouvent des syllabes à la fois autrement exactes et mystérieuses pour l’état civil de leurs doigts de pieds), l’autre Panthéon(Pan parce que la donzelle, férue d’antiquité, ne déteste pas, non plus, un petit air de flûte et se réjouit fort de ce qui claque : gifles, tir à la carabine, jeux de mots et de mitrailleuses, coups de fusil et de canon ; théon explicable par la seule faute du scribe, qui, avec le même nombre de signes, moins de prétentions et plus de vraisemblance, eût tout bonnement inscrit téton à son registre), sur un bas-ventre qui a juste ce qu’il faut d’obélisque pour jouer les hermaphrodites et s’appelle lui aussi d’un nom composé (d’abord trois lettres, chacune au sommet du triangle où se tapit ce qui de la femme est le plus apprécié mais le plus calomnié, puis le substantif corde, comme si cette coquette entendait qu’on se pendît au sien), sur son coeur en forme de Palais-Royal, son nombril qui lui sert de fosse aux ours, ses bras, ses jambes, parfumées au goudron, elle a imprimé le tatouage négatif et glacial de la monnaie-du-pape.

Monnaie du pape, monnaie de singe, petites lunes en papier, soeurs par la sécheresse d’une grisaille qu’elles maquillent, si la boîte à sardines oubliée au pôle, par l’explorateur, peu curieux du paysage, a réjoui la boitante famille des pingouins, l’homme qu’une impitoyable main de fer, sans gant de velours, vient d’arracher au naufrage illimité du sommeil et des draps, meurtri dans son regard et le secret de sa poitrine, blessé au sang par l’acier, dont, après avoir déchiré sa vitre, vient de le frapper la ville casquée, cuirassée de gelée blanche, l’homme n’est plus qu’un moribond relief de nuit.

Ses yeux ? des étoiles qui s’éteignent, deux feux follets rentrés à l’écurie. Avec des transparences



de souvenirs, d’acides raclures de ciel et déchets d’astres, il essaie, quand même de se recomposer un visage : son visage continué par un cou ; son cou… et ainsi de suite, mais les morceaux de lui-même se joignent mal, ne semblent plus faits les uns pour les autres.

De sa chair, de ses volontés, ne demeurent que lambeaux de brouillard, tronçons de torticolis. La femme de pierre, la pierreuse condescend à le plaindre.

" À l’aube j’ai rêvé de toi et j’ai pleuré… "

Elle a rêvé, elle a pleuré.

La pitié ? quoi ? Un regard lancé trop loin, la mise en scène de la voix, et, surtout, ces mots d’une sournoiserie… La pitié plus hypocrite, plus révoltante que la Société des Nations, la police, les choux-fleurs, les bretelles, les maladies vénériennes, le papier de verre et les fixe-chaussettes.

L’homme baisse les paupières, pour se rappeler certains mois dont les matins lui souriaient, de toutes leurs fenêtres ouvertes, chantaient à douce voix de fleuve, accompagnés en sourdine par les caresses d’ombre. Mais l’automne, soudain, a voulu que se gerçât du sel des larmes ce qui de la peau ne peut mentir.

L’homme fuit la chambre du piteux réveil, et, dans la rue, il constate l’alliance de la ville et du jour (15 octobre), le plus équivoque parmi les trente et un d’une famille entre le ziste et le zeste. En a déjà pâli même la belle insolence des marchandes de mimosas. Afin de mieux narguer les gerbes chétives que ces bohémiennes essaient de vendre, à l’orée des métros, se tord le zinc agressif d’une végétation nymphomaniaque, et les gitanes n’osent plus remuer un cil, alors qu’elles ont toujours passé, fort justement, du reste, pour connaître dans ses moindres subtilités l’art de faire de l’oeil et aussi bien avec les narines que la bouche ou les anneaux qui leur servent de pendants d’oreilles. Dans leurs paniers, toute une végétation s’anémie, se liquéfie, mare à la noyade des fleurs, et les tabliers n’ont pas trop de mille plis pour cacher deux fois cinq doigts parfumés au cuivre des gros sous. C’est la saison des mains dans les poches des pardessus. Nul passant ne sauvera de la débâcle le plus petit bouquet, et les altières nomades, la veille encore claquant les talons de leurs socques et de l’insolence sur le macadam, rougissent d’une crasse pourtant bien docile à ganter leur fin métal de peau. Hier, elles allaient jeteuses de mauvais sorts, les lèvres passées au minium, pour bien signifier aux grands frisés des faubourgs, toujours prêts à jouer du couteau, qu’elles n’avaient pas peur du rouge, mais aujourd’hui, parce que du ballon feuillu des marronniers ne demeurent que squelettes inutilement compliqués, parce que c’est la naissance de la mort, créatures aux épaules soudain peureuses, elles supplient le froid, cet avorton, de ne pas les poignarder entre les omoplates.

À la lumière de cette détresse l’homme voit qu’il n’a jamais rien compris des choses, ni des êtres.

Il se précipite chez la diseuse de bonne aventure (comme s’il n’en existait pas de mauvaise).

Quatre à quatre il grimpe les cinq étages.

Il compte.

4 + 4 + 5 = 13

4 + 4 X 5 = 40

4 + 4

Mais halte là ! s’il fallait soustraire et diviser, non additionner, ni multiplier ? Gare aux chiffres. Traîtres comme les revolvers. On a enlevé le chargeur. On vise pour rire. Il était resté une balle dans le canon. Balle diabolique, cabalistique, métaphysique. Bien des adjectifs s’offrent à qualifier ce projectile meurtrier. Une gentille petite femme n’en a pas moins tué son gentil petit mari. Ou vice-versa. Vous parlez d’un malheur ! Un ménage modèle et qui mettait de côté. Dire que la pauvre aura ses vingt et un ans juste le jour de Noël. Déjà veuve. Si jeunette. Et enceinte. Foi de bistrote, voilà une histoire qui mérite bien qu’on la répète, toute une année, à l’heure de la sauce mayonnaise. La Ville, elle, aura de quoi pleurer, de quoi rêver, tout son saoul. Bonne occasion de se métamorphoser, de flotter, île sur l’océan des larmes. Fluctuat nec mergitur. Ce serait mieux encore si on retrouvait, tué à coups de chiffres, l’homme sur le paillasson de cette voyante qui n’a pas l’air d’entendre. Mais l’auvergnate au chignon, et la pierreuse tatouée à la monnaie-du-pape, il ne faut tout de même plus jamais leur permettre de se mêler de ce qui ne les regarde pas. Donc ne toucher ni aux pistolets ni aux nombres qui partent tout seuls. Déjà les courants d’air ne lui ont pas si bien réussi à ce garçon ! Il aimait le vent à la folie. Prétexte à de jolis symboles. Mais un citadin n’a guère de tempêtes à sa disposition. Pour traduire, à coups moyens terrestres, l’ouragan, il a laissé portes et fenêtres battantes. D’où un méli-mélo pulmonaire. La carcasse ne fut jamais bien fameuse. Maintenant il a la fièvre, il tousse… Il exècre cette rauque chanson, qui, d’ailleurs, a dû finir par réveiller la Pythonisse, puisque se traînent des savates de l’autre côté de la porte qu’on ne tarde plus à ouvrir.

L’homme prévient qu’il déteste le passé, et le présent. Il n’est venu que pour le futur. Il fait le vide en soi. De ce qu’il fut, de ce qu’il est, survit, seule, une frénétique fringale d’imaginer. Il ferme les yeux afin que nulle vision trop actuelle ne s’interpose entre l’avenir et ses paumes.

Le livre des mains et de la destinée, elle sait y lire, la chiromancienne, elle va y lire et elle connaît son monde à force d’en avoir vu, et de toutes les couleurs, des vertes et des pas mûres, depuis le temps déjà lointain que, dans les foires, sous le nom de Mme Rachel, au seuil d’une roulotte, charlatane, elle déployait son bel éventail de tarots. Fille de dompteurs, elle n’a jamais eu froid aux yeux et sait comment s’y prendre avec les fauves et les amoureux. Elle a du reste toujours méprisé les uns et les autres, et, maintenant qu’elle a renoncé aux rideaux d’andrinople, à l’édredon, gonflé jusqu’au plafond, de la vie foraine, pour devenir Mme de Rosalba, sorcière en chambre, oracle des Batignolles, elle voue un mépris rétrospectif aux lions, ces rapins démodés à cravates Lavallière, qui n’ont même pas eu le nez de commander un petit trumeau à Lautrec, du temps qu’il brossait, à Neuneu, de grands panneaux pour la Goulue.

Donc premier conseil :

- Si vous achetez des peintures, mon jeune Monsieur, puisque je vois à cet anneau de Venus, là, que vous êtes un artistique, ne vous fiez pas aux manitous qui font les fendants. J’en ai connu un, moi qui vous parle, des qui maniaient le pinceau et le crayon. À preuve que ma nièce avait épousé un architèque. Il est mort dans un éboulis. Dommage. Il vous aurait bâti, pour pas cher, la grande maison que vous aurez d’ici quelques années. Et il y en aura de la peinturlure dans le salon, et du bois doré ! On se croirait au Palais de Fontainebleau. Mais c’est pour plus tard, maintenant, maintenant…

De toutes ses forces, elle tire, écarte les doigts, pour que la paume devienne océan, car la soif devineresse de la ci-devant Rachel dédaigne les verres d’eau, et même celui au fond duquel Cagliostro aperçut la tête coupée de Marie-Antoinette.

Mme de Rosalba plonge.

À mille lieues, sous les mers du futur, elle voit :

- D’abord un mariage avec une rousse. Vous aurez été présenté à la fiancée, à l’étranger, au cours d’un voyage. Mais c’est à Paris que se fera la noce. Et vous parlez d’une noce, avec des autos, des toilettes et une messe où l’on jouera tout le temps de l’orgue. L’épousée porte une robe à traîne de satin blanc copurchic. Son voile en point d’Angleterre n’est pas de la gnognote. Bien du monde s’est dérangé. Et pas des purées. Le Président de la République, en personne. Si sa femme n’est pas venue, ne cherchez pas midi à quatorze heures, c’est simplement parce qu’il est célibataire. Le pape a envoyé sa bénédiction et on passe tout l’après-midi à boire du champagne." (extrait de : "Êtes-vous fous ?")

mardi 15 octobre 2013

Phaune radio



Une expérience inédite d’écoute sauvage et sans bord

"Après les 7 folles Nuits de la Phaune, l'expérience radiophonique se transforme en flux permanent, tout aussi sauvage, sur le web et sur vos mobiles…
Phaune Radio vous invite à une exploration de l’animalité et de ses univers sonores, un voyage au plus près des biotopes sauvages et imaginaires.
Phaune Radio ouvre sa grille et libère des sons effervescents : fenêtres ouvertes sur des paysages sonores du monde entier, musiques aventureuses, hirsutes ou horizontales, rencontres animales, documentaires et créations, là où arts et sciences se rejoignent.
Un cabinet de curiosités sonores, en mouvement perpétuel, pour découvrir la vitalité de la création radiophonique internationale, s'immerger dans un bain de sons naturels et surnaturels, en se
laissant guider par des voix complices.
Place à la créativité effrontée de la nature, intensifée par la
griffe phaunesque qui transforme la radio en un kaléidoscope halluciné et invisible...
Phaune Radio se déplie aussi sur les ondes des radios curieuses, s’étire lors d’installations sonores dedans ou dehors, et se blottit dans des festivals pour des temps d’écoute
partagée. Rejoignez-nous !" (source : Phaune radio)

lundi 14 octobre 2013

Guillaume Piot



C'est à Aix-en-Provence que, durant une promenade estivale, j'ai découvert le travail de Guillaume Piot.
Rentrant avec curiosité dans une galerie de peinture, Carré d'Artistes, mon regard fut attiré par un type de réalisation particulière, mettant à vif un matériau minéral et brut et, en même temps, chaud et soyeux : la peinture à la chaux.
Plongeant immédiatement dans ce voyage aux moult sens (vue, toucher, direction, définitions...), je me promis de partager cette attirance instinctive.
Après quelques recherches, le contact fut établi avec le peintre Guillaume Piot.
Confidences et mises en perspectives.
Explications, émotions.


"Je travaille beaucoup de technique et beaucoup de médium. Je n’expose pas aux public toute mes créations et le travail à la chaux est resté longtemps “secret” en ce sens où il ne sortait pas de l’atelier.
J’ai commencé à travailler ce médium ancien afin de ralentir mon processus de travail. Je peins avec de l’huile depuis toujours quasiment, et j’ai l’habitude de faire sortir la couleur directement du tube, de la mélanger et de peindre. Je réalise mes tableaux rapidement.
Je voulais donc prendre le temps de fabriquer mes couleurs, et travailler la matière; la couleur et leur relation. Je me suis reconnu dans cette technique à la chaux, que j’ai découverte en côtoyant un artiste la pratiquant, qui me permettait de faire “autrement”, “autre chose” qu’avec la peinture à l’huile.
Voilà pour le “pourquoi”, la genèse de mes œuvres."


"Je me suis rapidement aperçu que la matière était “capricieuse”, qu’il était quasiment impossible d’être dans la reproductibilité garantie avec la chaux. Tantôt craquelée, tantôt lisse, selon la météo et selon ma façon de la travailler.
J’aime ce côté naturel et brut, qui nécessite pourtant beaucoup de travail en amont, beaucoup de réflexion sur les formes, les couleurs, la préparation. La douceur qui se dégage des tons pastels m’apporte une vision différente. Je tente souvent de jouer sur des contrastes forts mais subtils. Je racle, je ponce, je sculpte, j’ajoute, je troue, je gratte... autant de geste qui ne sont possible qu’avec une matière aussi minérale et dure que la chaux."


"Mes oeuvres sont des oeuvres “à toucher”, de par la matière, chaude et douce ainsi que par leur portée symbolique, forte et simple.
Vous touchez, et vous laissez toucher.
Il y a quelque chose de presque primaire dans ce travail, de brut, mais tellement doux, presque raffiné."

Guillaume Piot

Merci à Guillaume Piot pour sa disponibilité et sa gentillesse ainsi que pour avoir permis l'utilisation de l'iconographie de son site.