dimanche 24 mars 2013

Roger Gilbert-Lecomte





LA SAINTE ENFANCE OU SUPPRESSION DE LA NAISSANCE

Je parlerai du noir
Poupée de porcelaine
Enfouie dans l’humus de la forêt oublieuse et traîtresse
Où dansent les squelettes en robes d’araignées
Des feuilles mortes en dentelles
Je parlerai du noir
Au souffle des cavernes
Dans la champignonnière aux yeux phosphorescents
Je parlerai du noir aux escargots noués
Je parlerai du noir
À la pluie à la suie
Au cercle d’eau de lune étale au fond du puits
Aux tonneaux qui roulaient dans la cave à minuit
Quand la dame blanche gémit
Je parlerai du noir
À l’envers des miroirs
Je parlerai du noir
De l’immortel tourment
Du plus vieux désespoir
Devant le monde absent
Alors qu’il fera blanc
Je parlerai de voir
Toujours en m’endormant
Cette femme endormie
Sur la terre en pleurant
Admirable tête de morte
Voilée de noir espoir d’enfance assassiné
Un mauvais regard bat des ailes
Près du lit vide ensanglanté
Il faudra pendre l’accouchée
Pour le crime ancien des limbes
Le mort-né retourné vers son lieu d’origine
Ne croira pas au jour menti par le soleil
L’air noir n’a pas souillé le seuil de sa poitrine
Sans que palpite sa narine
Sans que son œil s’entr’ouvre à l’atroce réveil
La vie reniée avant d’être
Il s’en retourne au lieu de naître
Par le fil qui relie le nombril au zénith
Aux sources de cristal des merveilles du vide



Roger Gilbert-Lecomte
LE MIROIR NOIR
Éditions Sagesse, Librairie Tschann, Paris, 1937.
Éditions Gallimard, Paris, 1977.





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