Maurice Paulvé (1916 - 1994) est un peintre français contemporain. De lui, on n'a que peu d'informations disponibles.
Ayant résidé en Bourgogne et enseigné à l'école des Beaux-Arts de Beaune, cet artiste (trop) méconnu a marqué nombre de ses élèves tels Geneviève Bourgogne (aujourd'hui galeriste à Beaune) ou encore le peintre Jean Claude Ancet.
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Au début des années soixante dix, je préparais une maîtrise d'histoire de l'art. Mes études à la faculté de Dijon m'avaient ouvert les yeux sur beaucoup de problèmes artistiques et notamment sur l'art abstrait. Peignant figuratif à l'époque, je ne ressentais pas la nécessité de peindre autrement.
Ce furent des cours de peinture pris à l'Ecole des Beaux-Arts de Beaune qui m'incitèrent à me lancer dans l'abstrait. Maurice Paulvé, professeur très apprécié de ses élèves et peintre lui-même, me fit comprendre que l'art procédait de la vie intérieure et que cette vie pouvait prendre forme dans la peinture abstraite."(Jean Claude Ancet,
in LES DEBUTS DANS L'ART ABSTRAIT 1973-1982)
Ayant travaillé toute une période autour des natures mortes et du figuratif (voir ci-dessus et ci-contre),
Maurice Paulvé s'est ensuite orienté vers une expression abstraite.
C'est grâce à son fils,
Tim Paulvé, artiste concepteur, que nous avons aujourd'hui accès à de nombreuses toiles de
Maurice Paulvé.
Son abstraction se déstructure pour mieux s'unifier en son sein. Elle arbore une mine de contrastes et s'affirme minérale et/ou organique. Elle fait écho à certains univers, comme celui d'Otto Wols par exemple.
Sur d'autres versants, les formes et les couleurs renforcent le trait, délimitant des espaces géographiques et des lieux, organisant des forces puissantes d'harmonies ou de dysharmonies.
Matières prégnantes, parfois sourdes, parfois légères, se rassemblent ou se dispersent.
Le son des lignes oscille de mouvements paraphés. Celles-ci soupirent et se diffusent. On se laisse happer par tant d'histoires, de dérives, de mémoires.
Tim Paulvé, sur sa page
Blog à part, nous offre deux séquences, deux petites pièces d'un puzzle biographique, un reflet intime d'une relation d'un fils avec son père. Chacune est traversée d'une œuvre, un point de repère captivant.
Mais au-delà, ces témoignages nous renvoient à nous-même dans la complexité de la filiation et de ses transmissions.
Maurice Paulvé (1916-1994) - #1
Sans titre - 1983
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Mon père. Jamais je ne l'ai appelé autrement, je n'en ai pas eu l'occasion.
De ma petite enfance exilée durant laquelle je n'eus de lui que de rares visites qu'on m'a rapportées par la suite, je n'ai qu'un seul souvenir, aussi persistant que le sont les traumatismes ou les éblouissements.
C'était un matin de printemps, où nous avons gravi les pentes du Jura pour surplomber ce monde clos qu'est le pays de Gex, fermé au nord par la barre montagneuse vieillissante, à l'est et à l'ouest par le col de la Faucille et la trouée de Collonges, ouvrant au sud sur la cuvette genevoise, barrée elle-même par le Mont Salève, mille-feuille géologique qui fut le seul horizon de mon enfance.
De cet endroit pentu où j'ai vécu mes huit premières années, on ne pouvait que se laisser glisser vers la frontière, on ne pouvait que descendre, on ne disait pas à Genève ou en Suisse, on disait: "en bas".
Je devais n'avoir guère plus de trois ans, nous sommes montés et il m'avait porté, avec sous le bras quelques toiles cartonnées, une longue boite plate dont je me souviens de l'odeur de térébenthine, une palette de bois brun éclaboussée de tant de couleurs ternies par le temps.
Arrivés à bonne hauteur, nous nous sommes installés sur un muret de pierres éboulées, il a posé une toile sur ses genoux et, sans que je le comprenne sur le moment, j'ai assisté à ce qui est resté très longtemps pour moi un tour de magie.
Le regard tourné au sud, il a tracé sur la toile écrue avec le manche d'un long pinceau quelques traits hâtifs, j'ai du demander ce qu'il faisait car on m'a vite écarté pour le laisser travailler.
Je voulais savoir... on m'avait dit que je verrais quand ce serait fini. Un long moment après, je fus autorisé à me rapprocher de nouveau, et j'ai vu sur la toile, jaillie de nulle part si ce n'est de son regard et de ses mains, la vue si familière du mont Salève...
Cette petite peinture unique, perdue depuis, a accompagné toute mon enfance, accrochée au dessus du désordre ambiant, lucarne entrouverte sur le monde extérieur, sur mes origines et rappel constant de ce matin magique".
[...]
Maurice Paulvé (1916-1994) - #2
Sans titre - 1973
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2012. Après des années d'un silence opaque à tout souvenir, je découvre avec émerveillement ce tableau, grande noirceur d'encre ouverte sur l'improbable, chez ma sœur.
Il avait échappé à ma vigilante curiosité, 1973, de ces années où mes visites à son atelier étaient régulières, où il m'avait autorisé à être, à être juste là à le regarder travailler en bavardant, de tout, du passé, de nous, des autres...
J'ai le souvenir précis de ces petits tampons de tissu repliés avec soin avec lesquels il tamponnait ses repentirs d'un blanc de zinc qu'il voulait transparent, commentant son désarroi de devoir supprimer tous ces détails qui le fascinaient mais qui contrariaient le sens qu'il voulait donner à l'ensemble.
Penché sur son œuvre, la respiration attentive, il ponctuait ce tamponnage délicat de mots simples, évocateurs, m'ouvrant au droit de comprendre sa création.
"C'est beau, toutes ces petites choses, c'est toujours un sacrifice de devoir les effacer, mais c'est ça: exploiter le hasard oui, mais pas tout..."
Je ne disais rien, ne répondais rien, car je comprenais d'instinct.
Au cours d'un de ces après-midi hors du temps, je l'ai vu user d'un os de poulet, "un bréchet, c'est juste ce qu'il faut, c'est très fin et ça refuse l'encre", pour fabriquer une ombre encrée dans un coin d'œuvre, point par point, avec méthode, avec recul, avec commentaires: "On cligne des yeux et on voit tout de suite ce qui manque, juste pour que ça se fonde..."
J'ai vu l'ombre s'étendre, s'étirer, se fondre dans l'ensemble peu à peu, par la magie de ce petit geste répété.
Des années plus tard, pétri de ce souvenir, ne sachant rien faire de mes mains ni même de mon esprit, j'ai saisi un feutre très fin et j'ai machinalement commencé à remplir une feuille de papier à dessin, plagiat douloureux de ce souvenir déjà lointain, envahissant peu à peu l'espace d'une ombre que j'avais l'impression de piller à sa mémoire.
Un geste simple, aussi simple, répété sans fin, chaque point emplissant l'espace que lui laissaient les autres, et quelque chose prenait forme...
Quelques années plus tard, en y ajoutant des contraintes drastiques pour empêcher toute intervention de ma volonté, j'alignais des points au rotring 1.4 pendant des heures, sur des formats de plus en plus ambitieux, les "Dots".
Les contraintes, c'était la fonction; le résultat, la représentation graphique de cette fonction. L'ordinateur, les fractales, m'étaient encore étrangers.
J'ai exposé ces "Dots" en 1994, après le décès de mon père. Jamais je n'aurais pu le faire de son vivant.
2012. je retrouve ma sœur, mes sœurs, après le décès du dernier protagoniste du versant tumultueux de mon histoire. Je découvre ce que ma sœur a préservé d'une œuvre immense, que nous décidons spontanément de ne pas disperser.
Généreuse, elle m'en offre bon nombre, précieusement conservés. Mais qui peut être propriétaire d'une œuvre vivante en nos cœurs? C'est notre héritage, notre bien collectif. Nous en avons la garde.
2013. Du fond d'une détresse à la fois médicale et affective, deux amies de longue date me retrouvent ici-même sur un compte abandonné et m'envoient un message, dont je reçois heureusement la notification par mail.
J'émerge en ces lieux, je me remets à l'ouvrage abandonné depuis des années, début de cette aventure dont vous pouvez voir ici toutes traces. Avec l'impression de réellement commencer un travail, à l'âge même où mon père, après une exposition locale, a fermé l'atelier et n'y a plus jamais remis un pied. Les destins se calquent en creux.
2015. La dernière de mes visites à ma sœur, où je me plante une nouvelle fois devant cette œuvre qui me fascine de son encre noire, de ces ombres reconnues qui prolongent pour l'affiner la dureté des à-plats d'encre qui dominent l'ensemble de leur structure puissante. Ces mêmes petits points apposés au bréchet de poulet. Je photographie maladroitement le tableau, cherchant le bon angle, la bonne lumière, et derrière moi j'entends la voix de ma sœur qui me dit doucement: "je te l'offre"."
28 septembre 2015
L'équipe de Vers du Silence tient à remercier très chaleureusement Tim Paulvé de nous avoir permis d'utiliser ses deux textes issus de Blog à part et de reproduire des tableaux de son père pour cette chronique.
Merci aussi pour son écoute et son aide.
Nous vous invitons également à découvrir le travail de Tim Paulvé sur sa page FB.